La pollution aurait-elle causé 750 000 morts ? Ecrire cela dans un rapport officiel risquerait de provoquer «des émeutes», s’offusque Pékin, qui a demandé à la Banque mondiale, selon le quotidien britannique Financial Times (FT), de censurer son étude sur le coût humain de la pollution en Chine.
Pourtant, la Chine, associée à ce rapport qui court depuis plusieurs années, ne dément pas le chiffre des «morts prématurées». En 2006, «année la plus noire pour l’environnement», elle a reconnu 161 incidents majeurs de pollution, et aussi que les objectifs fixés pour réduire les émissions de substances polluantes «n’avaient pas été atteints». Elle ne conteste pas non plus que 16 des 20 villes les plus polluées du monde se trouvent à l’intérieur de ses frontières, comme annoncé dans un précédent rapport de la Banque mondiale.
Caviardée. La Chine, devenue le principal émetteur mondial de dioxyde de carbone, selon une déclaration du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, lundi, voudrait seulement que tout cela se sache le moins possible. Un an avant l’arrivée des 10 000 athlètes des Jeux olympiques, le ciel de la «société harmonieuse» doit rester le plus clair possible. Le mois de juin, avec 15 jours «médiocres en termes de qualité de l’air», a beau avoir été le pire jamais enregistré depuis 2000, les autorités continuent d’annoncer 245 jours de ciel bleu pour 2007.
C’est que la Sepa, l’agence nationale chinoise pour la protection de l’environnement, et le ministre de la Santé s’inquiètent de l’impact de nouvelles révélations sur la population, chauffée à blanc par les innombrables problèmes engendrés par la pollution, redoutant un accroissement des conflits sociaux déjà nombreux dans le pays. Toujours selon le FT, ils ont réclamé, et obtenu en fin d’année dernière, la suppression d’un tiers de l’avant-projet du rapport de la Banque mondiale, «trop sensible» et susceptible de «provoquer des troubles sociaux». Une carte détaillée des endroits les plus touchés par la mortalité due à la pollution aurait également été caviardée. Le rapport, pas encore publié, aurait cependant été exposé lors d’une conférence à Pékin en mars, alors même que le Premier ministre, Wen Jiabao, axait son discours d’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire sur les problèmes environnementaux.
Interrogé par le FT, Guo Xiaomin, ancien membre de la Sepa chargé de coordonner l’équipe de recherche chinoise pour l’étude de la Banque mondiale, a justifié la censure en expliquant que «la méthodologie était peu fiable», et que les chiffres ne seraient «pas compris». Il a ajouté qu’il ne jugeait pas nécessaire d’alourdir un rapport déjà très épais.
Décès évitables. Dans la partie manquante de l’avant-projet, les estimations font apparaître que la pollution de l’air des villes chinoises provoque la mort prématurée de 350 000 à 400 000 personnes chaque année. 300 000 autres mourraient en raison de la mauvaise qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments, comprendre l’enceinte des ateliers et des usines. Dans les campagnes, la mauvaise qualité de l’eau entraînerait 60 000 décès évitables. Les officiels de la Sepa et du ministère de la Santé ont refusé de répondre aux questions du FT . Leur discours habituel, fondé mais pas franchement satisfaisant, est que les émissions chinoises sont dues principalement aux entreprises étrangères installées en nombre sur son territoire. La Banque mondiale a déclaré que les conclusions du rapport étaient encore à l’étude, et qu’elles seraient bientôt rendues publiques.