Propulsée troisième puissance mondiale, la Chine fait profil bas. Les principaux médias, toujours enthousiastes sur les records nationaux, passent celui de la croissance presque sous silence. Au lendemain de l’annonce de l’exceptionnelle croissance chinoise, ils titrent sur la surchauffe de l’économie, la hausse des taux d’intérêt et les derniers cataclysmes environnementaux. Sans aucun triomphalisme.
En d’autres temps, passer devant l’Allemagne, talonner le Japon et les Etats-Unis, aurait déclenché quelque fierté dans un pays qui reste pauvre, autour du centième rang mondial en terme de PIB par habitant. C’est que les 12 % de croissance annuelle, prévisibles en fin d’année, cachent un ciel très noir. Inégalités, pollution, accroissement inédit des «incidents de masse» (terme consacré pour les conflits sociaux), hausse des prix alimentaires et immobiliers, risque de krach boursier, insécurité alimentaire. les alertes s’accumulent. Le miracle économique chinois ressemble chaque jour davantage à un cauchemar que ne font plus mine d’ignorer les dirigeants. Même s’ils ont distillé les chiffres de l’économie au compte-gouttes ces derniers jours, pour éviter un effet d’annonce trop brutal, ils ne cachent plus leurs inquiétudes. «La tendance à la surchauffe est claire», a ainsi déclaré le comité des affaires économiques et financières de l’Assemblée nationale, «l’inflation progresse».
Indomptable. C’est surtout l’environnement, lié à la trop rapide croissance, qui cristallise une angoisse palpable depuis quelques mois. Une autre palme décrochée par la Chine en 2006 est celle du plus puissant émetteur mondial de CO2, révélée en début de semaine par l’Agence de surveillance environnementale (MNP). Record qui montre, autant que la croissance indomptable, l’incapacité de tenir les objectifs de la «société harmonieuse» rabâchés à longueur de discours. En même temps, les dirigeants ne font plus mystère des problèmes. Ils ne contestent plus les injonctions de l’OCDE à redoubler d’effort pour lutter contre la pollution : «Pour quadrupler le PIB entre 2002 et 2020, comme prévu, il faudra augmenter dans les mêmes proportions le financement de la gestion de l’environnement», a précisé l’organisation internationale en début de semaine, rappelant que la pollution dans certaines villes chinoises, «la pire du monde», pose un problème qui dépasse les frontières de la Chine.
Pan Yue, responsable de l’agence gouvernementale chinoise Sepa, n’est pas loin de ce discours dans les Nouvelles de Pékin. «Les grosses industries polluantes sont protégées par les gouvernements locaux», affirme-t-il après qu’une de ses équipes s’est vu refuser l’entrée dans une usine de cuivre de la province de l’Anhui (est de la Chine).
Algue bleue. La Sepa, toute gouvernementale soit-elle, ne cache plus la réalité vécue par des millions de personnes. Selon l’agence, un quart des sept principaux fleuves et rivières serait tellement pollué que le simple contact de l’eau serait dangereux. Une récente inspection menée par la Sepa dans 529 usines le long de la rivière Jaune, du Yang-Tsé et autres cours d’eau et lacs importants montre que 44 % d’entre elles ont violé les lois environnementales. Le gouvernement a récemment appelé, avec des accents qui rappellent la Révolution culturelle, à «lutter» contre les pollueurs de l’eau. Par ailleurs, depuis des semaines, les journaux débordent de photos et d’articles sur l’algue bleue, responsable de la pollution de plusieurs grands lacs. La série noire a commencé en mai, avec la contamination du lac Taihu, privant d’eau potable 5 millions d’habitants. L’agence de presse Chine nouvelle, pourtant adepte d’informations positives, a rapporté peu après que les mesures de lutte contre la pollution «se heurtent à de grosses difficultés». La semaine dernière, une information a filtré d’un Conseil des ministres consacré à l’environnement : «La situation actuelle demeure tout à fait lugubre», a lâché un dirigeant à la sortie. Après dix ans de croissance à deux chiffres, le réveil est brutal.