Le 20 août 2006, quelque 581 tonnes de slops – mélange de résidus pétroliers et de soude caustique issu d’un raffinage sauvage en pleine mer – transportées par le Probo Koala, un tanker affrété par la société Trafigura, sont déversées dans quatorze communes de la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Selon la liste officielle donnée par le Trésor public ivoirien, la pollution engendrée par le déversement des déchets toxiques aurait provoqué la mort de seize personnes et l’intoxication de 95 247 autres. Un an après le drame, les sites pollués ne sont toujours pas tous nettoyés. Chargée de ces travaux de dépollution commencés en septembre 2006, la société française Trédi avoue toujours être « dans l’attente d’une autorisation administrative de l’Etat ivoirien » pour pouvoir collecter les « 2 500 à 3 000 tonnes de substances contaminées restantes ». Or la saison des pluies qui a démarré depuis peu multiplie les risques de contamination par ruissellement. Une situation qui ne semble guère inquiéter la présidence ivoirienne, qui a repris le dossier en main en début d’année, plus enclin à privilégier le volet financier de l’affaire.
Ainsi, le 13 février dernier, la société Trafigura s’engageait à verser à l’Etat ivoirien 100 milliards de francs CFA (152,5 millions d’euros) en échange de l’abandon des poursuites judiciaires et de la libération de ses dirigeants Claude Dauphin et Jean-Pierre Valentini, respectivement directeur de Trafigura et responsable de la zone Afrique de l’Ouest, emprisonnés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). La somme, qui devait servir à indemniser les victimes et à financer la dépollution et la construction d’une usine de traitement des déchets ménagers, a été jusqu’à ce jour en majeure partie accaparée par le pouvoir. Ainsi, seuls 20 % de cette somme, environ 30 millions d’euros, sont destinés au dédommagement des victimes dont les familles se sont constituées en collectifs ; l’Etat, dont la défaillance des services a permis la catastrophe, garderait le reste.
Une répartition qui est rejetée en bloc par la Fédération nationale des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire (Fenavidet-CI) qui regroupe plusieurs associations locales. « C’est honteux, on se demande s’ils n’ont pas fait venir ce bateau volontairement », se révolte Rachel Gogoua, présidente de l’Association des victimes d’Akouédo, une des communes les plus touchées. En Lybie, les familles des enfants contaminés par le virus du sida ont été directement indemnisées. Ici, on a l’impression que l’Etat cherche à s’enrichir sur le dos des gens intoxiqués. » Les rapports publiés par deux commissions d’enquête, une nationale et l’autre internationale, constituées après les évènements sont accablants pour Trafigura, mais également pour les autorités ivoiriennes. Ainsi, le déchargement se serait effectué sous le contrôle des plus hautes autorités, dont Marcel Gossio, directeur du port autonome d’Abidjan – un proche de Simone Gbagbo et un des principaux financier du parti présidentiel, le Front populaire ivoirien –, mais également des directeurs des douanes et du district d’Abidjan. Suspendus tous les trois, ils ont été réintégrés par décret présidentiel en décembre 2006.
Les responsables de ce désastre écologique ne seront jamais jugés en Côte d’Ivoire depuis que les poursuites se sont arrêtées avec l’accord signé entre l’Etat et Trafigura. Cependant, plusieurs autres procédures ont été entamées en Europe. La Haute cour de Londres a donné son aval pour l’engagement d’une action collective lancée par un cabinet d’avocats anglais au nom de 5 000 victimes ; une procédure civile qui se poursuivra tant que les victimes ne seront pas indemnisées. Une instruction est également engagée aux Pays-Bas où les déchets ont été chargés. D’autre part, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris suite à la plainte pour « homicide et blessures involontaires » et « corruption d’agents publics étrangers » à l’encontre de Claude Dauphin et Jean-Pierre Valentini, lancée par 94 ivoiriens. Cependant, les constitutions de partie civile, qui devaient déboucher sur l’ouverture d’une information judiciaire, ont été rejetées par le doyen des juges d’instruction sous prétexte qu’elles « ne remplissaient pas les conditions du code de procédure pénale sur les délits commis à l’étranger et dont les auteurs ou victimes sont français ».
Pascal Coesnon
Pascal Coesnon