Cet écoquartier qui réinvente la ville. Modèle. Mixte, économe, durable : le quartier de Bonne, à Grenoble, ouvre la voie.
C'est là qu'est né le Grenelle de l'environnement. En cet après-midi où le soleil brille sur le centre-ville de Grenoble, le jardin des Vallons est à la fête : "Mes petits-enfants trouvent génial ce parc avec jets d'eau et cordes d'escalade, sourit Gisèle Perez.Après un sérieux retard dans la livraison de mon appartement, quelle joie d'habiter ce quartier avec vue sur les massifs du Vercors et de Belledonne. Surtout depuis l'ouverture du centre commercial, tout en bois et coiffé de panneaux solaires !"
De l'autre côté du petit canal, Samara, née au Brésil, et son mari, Nicolas, chercheur chez ST Microelectronics, s'attardent à la terrasse d'un café. Le jeune couple loue depuis un an un 2-pièces avec terrasse dans ce quartier flambant neuf. "Même quand il fait très froid dehors, vous pouvez vivre chez vous en tongs, short et tee-shirt. Nous faisons presque tout à pied, à vélo ou en tramway. D'ailleurs, notre voiture ne sort presque pas du garage", raconte Nicolas.
Quartier mixte
Retour dix ans en arrière. Afin d'étendre l'activité commerciale de l'hypercentre vers les Grands Boulevards et la ligne 3 du tramway, la mairie de Grenoble décide de créer un nouveau quartier sur le site de la caserne de Bonne, désertée par l'armée depuis 1994. Elle retient le plan d'ensemble de l'urbaniste Christian Devillers qui s'adosse à la création d'un grand parc aménagé par la paysagiste Jacqueline Osty, pouvant gérer les eaux pluviales. "On a réussi à imposer l'idée d'un quartier mixte comprenant un centre commercial, un hôtel, une école... raconte l'architecte. Eric Bazard, directeur adjoint de la société d'aménagement, nous a aidés à faire la programmation de cet ensemble de loisirs, commerces, culture. Nous voulions créer un quartier vivant, y compris la nuit, qui soit le prolongement du centre-ville de Grenoble et pas un simple secteur résidentiel."
Au côté de logements sociaux, privés, intermédiaires, certains bâtiments de la caserne sont conservés et transformés en une sorte de château autrichien. La déconstruction de la caserne a économisé dix mille rotations de camions et réduit d'autant l'empreinte carbone du chantier. "Notre plan d'ensemble et un cahier des charges ultraprécis ont donné une unité malgré la diversité des architectures. Loizos Savva, de l'agence Aktis, en a coordonné la réalisation avec fidélité par rapport au projet initial, lui-même respecté par les architectes et les promoteurs", poursuit Christian Devillers.
Grands moyens
Entre alors en scène Pierre Kermen. L'élu Vert chargé de l'urbanisme et de l'environnement souhaite aller plus loin et faire un quartier vert exemplaire : "Je voulais que les écologistes se frottent à la question urbaine à travers ce projet qui libérait un espace public de 3 hectares dans une ville déjà dense." La machine se met en marche lorsqu'il trouve le cadre structurant ses ambitions. Programme de recherche et développement européen, Concerto prône en effet la décroissance énergétique, mais à l'échelle de tout un quartier et finance à hauteur de 1,7 million d'euros les surinvestissements pour obtenir ces économies d'énergie. Bingo !
"Avec ces rails, j'ai pu réaliser ce que je voulais entreprendre, bien avant le Grenelle. Le concept n'est plus ici de travailler uniquement sur le bâtiment, mais à l'échelle de tout un espace. En y associant les acteurs de la construction (promoteurs, architectes), les élus, les associations, les habitants qui rejettent moins et économisent l'énergie." L'objectif fixé n'est pas de diminuer de 5 à 10 % les consommations d'énergie, mais de les diviser... par deux ! "Tout le monde faisait les yeux ronds quand on parlait de faire des économies d'énergie, à un moment où elle n'était pas aussi chère et où personne n'évoquait encore le fameux développement durable."
Mélange
Pour intégrer davantage d'écologie dans la façon de construire, la SEM Sages impose ses conditions : "On a demandé des logements consommant moitié moins que la réglementation en vigueur, soit 50 kWh/m2/an pour le chauffage. Ce seuil servira de référence au Grenelle de l'environnement et sera la règle en 2012 pour toutes les consommations énergétiques neuves : chauffage, électricité...", explique sa directrice, Valérie Dioré. Architectes et promoteurs contraints d'atteindre des performances techniques, thermiques et environnementales ? Une petite révolution vécue par le promoteur privé Bruno Blain, régional de l'étape : "Ce challenge a fait évoluer le bâtiment dans le domaine énergétique. La construction a ainsi fait l'objet d'un contrôle drastique, avant, pendant et après les travaux."
Depuis deux ans copropriétaire dans l'immeuble Henri-IV construit par Bruno Blain, Michel Leullier fait aussi partie du conseil syndical : "Nous habitons un Thermos. On s'est demandé au début si les radiateurs marchaient car ils étaient froids, n'ayant pas besoin de fonctionner." De fait, le bâtiment est surisolé par l'extérieur, ses fenêtres et menuiseries s'ouvrent sur des volets en bois à jalousie qui laissent passer l'air, mais pas le soleil. Et que dire des terrasses, dont les dalles de béton ne prolongent pas le froid à l'intérieur de l'appartement, de l'eau puisée dans la nappe phréatique qui rafraîchit l'air via la ventilation mécanique double flux, de la chaleur des chaudières à gaz collectives transformée en électricité revendue à GEG... "Quand il fait 7 degrés la nuit, nous avons nos 20 degrés. Et puis j'adore ce mélange entre le social et le privé."
Stimulant
A deux pâtés de maisons, Florence Audouy fait partie des pionniers : "Ce n'est pas un ghetto pour bobos, il y a beaucoup de logements sociaux. Nos appartements très économiques en chauffage disposent de larges terrasses où l'on gare nos vélos. Ces pièces à vivre favorisent rencontres et apéros. Habiter vert stimule : je prends peu l'ascenseur et je projette d'installer un composteur commun avec les voisins." Ceux-ci arrivent justement et s'amusent du vent qui s'engouffre dans les coursives : "C'est agréable en été, moins en hiver. Il est vrai que l'architecte est parisien, pas grenoblois..."
Non loin de là, Rachel Beaubois loue un appartement du parc social dans lequel elle ne paie pas de charges, le chauffage et l'eau étant inclus dans le loyer : "L'an dernier, quand nous avons emménagé, le chauffage était un peu faible mais on n'a pas eu froid. La VMC double flux extrait l'air humide mais fait du bruit, certains habitants en ont bouché l'ouverture dans leur séjour. Côté circulation, je n'entends rien, on ne dirait pas qu'on est en ville !" Directeur d'Actis, le bailleur social de cet immeuble, Jean-François Lapierre, travaille au suivi de consommation des habitants : "Nous vérifions à quel niveau réel de consommation d'énergie on arrive, et à quel niveau de prix. Nous en tirerons des leçons pour les opérations futures afin de prendre des mesures correctives sur les bâtiments."
L'étape suivante ? Elle consiste, pour Stéphane Siebert, actuel adjoint chargé du développement durable, "à arriver à inventer et à généraliser à moindre coût une nouvelle génération d'écoquartiers. Où l'on parlera moins de technique mais davantage de vivre ensemble. C'est ce que nous voulons mettre en oeuvre dans la presqu'île scientifique." Son prédécesseur, Pierre Kermen, partage cet avis : "Tout le monde est très fier de cette opération qui a obtenu le grand prix des Ecoquartiers et sert de référence pour les promoteurs. Mais la Caserne de Bonne est un prétexte pour parler... de tout ce qui nous reste à faire."
Par Bruno Monier-Vinard